Roms et compagnie

Publié le par resistance-roms.over-blog.com

31 juillet 2010

Roms et compagnie

Nicolas Sarkozy a donc cru bon de tenir un conseil « spécial roms ». D’aucuns y voient une stigmatisation, d’autres applaudissent à grands cris. Les uns et les autres sont des imbéciles.

Mais ils sont en bonne compagnie. Pas un jour sans qu’un présentateur de journal télévisé ne parle, comme s’il s’agissait d’une chose allant de soi, de la « communauté », des gens du voyage, des musulmans de France, des gays du Massif Central ou des Corses d’Ille-et-Vilaine.

Et moi qui pensais que tous ces gens-là étaient avant tout français…

 

Joseph Macé-Scaron note avec pertinence(1) qu’« à un progressisme qui réduit la question sociale à l’affrontement des dominés et des dominants, des victimes et des bourreaux, répond désormais une autre pensée binaire, aujourd’hui plus dangereuse parce que plus établie, qui renoue avec les sortilèges de l’essentialisation. » Et d’ajouter : « On n’aura jamais autant dit que durant cette présidence « les » jeunes, « les » vieux, « les » musulmans, « les » femmes… »

« Pitoyable assignation à résidence, » conclut-il. Nous sommes sommés d’être tout entiers le plus petit commun dénominateur : manouches ou immigrés, blancs ou « blacks » (en passant par l’anglais, on obtient sans doute quelque chose qui est plus noir que noir), juifs, musulmans ou chrétiens. Hommes ou femmes. Homos ou hértéros.

Bien sûr, ceux qui n’ont que cette identification minuscule à se mettre sous la dent, faute d’« être » des individus à part entière, des hommes au sens de l’article premier de la Déclaration des Droits, font chorus — et parlent à leur tour de « céfrancs », de « feujs » ou de « beurs » : l’essentialisation, pour s’exprimer en verlan, n’en demeure pas moins une réduction a minima.

Cette attitude a corrompu jusqu’aux comportements scolaires. Le « céfran » est « intello », les filles sont des « taspés », et le rebelle est cancre : c’est bien plus simple ainsi, n’est-ce pas, lorsqu’on n’a pas les mots, ni pour se dire en toute complexité, ni pour s’adresser aux autres…

Quant aux collègues qui consentent à entrer dans ce jeu, et qui parlent de leurs classes comme d’une addition de « communautés » dont il convient de respecter la « diversité », je préfère ne pas en dire ici ce que je pense — après, on me dit que je suis mal embouché.

Une question cependant : savent-ils exactement ce qu’est une République ?

 

« Citoyen » : ainsi s’appelaient les révolutionnaires, pour éliminer toutes les différences de titres et de conditions. Et c’est ce que nous sommes, et ce qu’ils sont : des citoyens. Susceptibles de respecter les lois de la République — par exemple de s’arrêter à un contrôle routier sans tirer sur la police. Susceptibles, en cas de dérapage, de sentir s’appesantir sur eux la main de la République, comme autrefois le couperet s’appesantissait, un bref instant, sur le cou des ci-devants qui persistaient à se faire appeler « monsieur le comte » ou « Votre Majesté ». On a même coupé le cou d’Olympe de Gouges, parce qu’elle avait eu la mauvaise idée d’écrire la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, sans comprendre qu’« homme » n’était pas le masculin de « femme », mais le terme générique de l’espèce humaine. Ce n'était pas misogynie, c'était refus des particularismes.

« Citoyens » : ainsi devrions-nous appeler nos élèves — ou, en tout cas, les traiter ainsi.

Mais voilà : la loi Jospin a prétendu leur imposer la « démocratie », les « mettre au centre », leur donner une individualité de « djeunes », avec des sous-branches (« djeunes beurs » ou « djeunes beurettes » — et j’en passe), intimer aux enseignants de les respecter en tant que djeunes, dans leur être et non dans leurs productions. C’était, sous prétexte de démocratie, fragmenter déjà la République. Le « djeunisme » est aussi une forme de racisme.


Tenir un conseil des ministres sur les Roms, parler de « diversité », de France « Black-blanc-beur », c’est émietter la République. Donner, lors des inscriptions ou des recrutements, un avantage décisif aux « boursiers » (30%, a décidé le ministère), sous prétexte de « discrimination positive », n’a rien de légitime : l’étape suivante, ce sera une « affirmative action » à l’américaine (avec trente ans de retard, les USA en sont revenus…), ce qui impliquera une politique de quotas, qui nécessitera elle-même je ne sais quel recensement « ethnique » dont certains rêvent : à quand la qualification au faciès ?

La notion même de « parité » » me paraît extrêmement caduque, comme chaque fois que l’on introduit du quantitatif pur dans ce qui devrait être du qualitatif étroit. On n’a pas plus de talent parce qu’on a une verge ou un vagin, ni parce qu'on est noir ou jaune : on en a parce qu’on a mérité, par la réussite à un examen ou un concours, tel ou tel poste.

Il y a un mépris sous-jacent évident, dans toute discrimination (qu »’on lui rajoute « positive » ne fait pas passer le mot). Un mépris qui se traduira, à terme, par un sentiment d’imposture, chez ces « djeunes » qui auront avancé au nom des quotas, au ieu de « remplir leur mérite », comme on disait jadis. Stigmatisés par les cadeaux qu'on leur aura faits.

Qu’on se donne les moyens de former tous les enfants, dès la Maternelle, de façon adéquate — avec un haut niveau d’exigence ; que l’on permette à chacun de devenir ce qu’il est ; que l’on aiguille davantage de déshérités vers des voies prestigieuses, dès lors qu’ils en ont les moyens — et pourquoi diable ne les auraient-ils pas ? —, oui, c’est ainsi que l’on peut, que l’on doit procéder. Evidemment, c’est plus cher et plus long que de faire de la charité dans une centaine de lycées de ZEP, comme le propose depuis quelques années Richard Descoings. La charité, au fond, ne coûte pas très cher, parce qu’elle ne donne pas grand-chose. Elle saupoudre — et veut nous faire croire que ce nappé superficiel, comme disait Barthes à propos des fiches-cuisine de Elle (2), camouflera le fait que tant de gosses n’ont pas accès aux savoirs les plus élémentaires.

C'est qu'il est plus facile d'entrouvrir les portes de la Rue Saint-Guillaume que de réformer le collège…

 

Dans un livre à paraître fin août, Tireurs d'élites (3), je reviens longuement sur cette question, aujourd’hui centrale : nous sommes à un moment étrange de notre histoire, où sous prétexte de « démocratie » nous voulons faire voler en éclats tout l’héritage de la Révolution et de l’Empire — à commencer par les classes préparatoires et les Grandes Ecoles : ce n’est pas un hasard si c’est la Convention qui a inventé Polytechnique, ou si le Comité de Salut public a reconstitué l’Ecole des Mines, invention royale disparue avec Louis XVI. Ou l’Ecole Normale pour instituer des professeurs — la future Ecole Normale Supérieure. Ce sont des coupeurs de têtes qui ont désigné Monge, Berthollet ou Daubenton pour y enseigner.

Dire qu’il y en a qui croient encore que la République n’avait pas besoin de savants…

C’est à la fois un héritage et une politique que l’on veut détruire. En fait, l’Etat. Entre les libéraux « mondialistes » partisans du « moins d’Etat », et une certaine gauche pseudo-démocrate qui prétend « rendre la parole » aux uns et aux autres, favoriser l’autonomie des établissements scolaires ou dissoudre les instances de décision dans une « participation » d’où n’émergeront que les idées les plus médiocres, nous sommes mal barrés.
Heureusement qu’il reste des Républicains (à droite et à gauche, d’ailleurs) pour s’opposer à cette grande gabegie « démocratique ». Pour quelque temps encore.

 

Jean-Paul Brighelli

 

(1) Dans Marianne n°692, semaine du 24 au 30 juillet.

(2) Dans Mythologies.

(3) Chez Plon.

 

http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/07/31/roms-et-compagnie.html

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