"Halte à la discrimination des Tziganes !"

Publié le par resistance-roms.over-blog.com

Jean-Pierre Liégeois, sociologue, fondateur, en 1979, du Centre de recherches tziganes

Le 21 juillet, l'Elysée diffusait une "Déclaration de M. le Président de la République sur la sécurité", dans laquelle le président mentionne "les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms". Et il ajoute : "Je tiendrai une réunion à ce sujet le 28 juillet. Cette réunion fera le point de la situation de tous les départements et décidera les expulsions de tous les campements en situation irrégulière." Au moment même où se tient cette réunion, il convient d'apporter quelques précisions.

 

 

Les Roms et les gens du voyage sont-ils discriminés ?

L'expression "gens du voyage" est un néologisme administratif développé en France dans les années 1970. Cette catégorie aux contours flous permet d'y mettre ce que l'on souhaite pour répondre à des objectifs politiques. Ainsi la loi de juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, les caractérise par la mobilité de leur résidence. Mais souvent l'administration parle des "gens du voyage sédentarisés" ce qui renforce la confusion.

Or, ces gens du voyage sont souvent des Roms, des Gitans, des Manouches, etc., autant de groupes qui sont les éléments d'une mosaïque qu'on peut, en français, nommer "tzigane". Ainsi la fédération qui regroupe, en France, des groupes différents a choisi de s'appeler Union française des associations tziganes, afin de respecter la variété de ses composantes et un Collectif des associations tziganes vient d'être formé. Le discours politique, ces derniers temps, laisse entendre que les Roms seraient des étrangers, ce qui est une autre source de malentendu car les Roms sont présents dans la catégorie des gens du voyage, et plus nombreux encore sont ceux fixés depuis des générations en France.

Ainsi mettre sur le même plan gens du voyage et Roms est une erreur, car il s'agit, d'un côté, d'une catégorie administrative, et de l'autre, d'un ensemble socioculturel millénaire originaire de l'Inde, avec une langue dérivée du sanskrit, et représentant plus de 10 millions de personnes en Europe. Faire des Roms des étrangers est aussi une erreur, car la plupart de ceux qui sont en France sont français.

Quand le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, précise, pour le défendre, que le chef de l'Etat "ne cherche pas à stigmatiser une communauté, mais à répondre à une problématique", et ajoute : "On a beau être rom, gens du voyage, parfois même français au sein de cette communauté, eh bien, on doit respecter les lois de la République." Il se trompe lourdement en disant "parfois même français" puisque, par la définition même de leur statut administratif, les gens du voyage sont français et que de nombreux Roms le sont aussi. Mais le discours politique hypertrophie la présence d'environ 12 000 à 15 000 Roms qui n'ont pas la nationalité française, pour mieux instrumentaliser cette présence et l'utiliser comme un épouvantail, alors que la grande majorité de ces Roms sont des citoyens de l'Union européenne.

Quand le chef de l'Etat indique que la réunion du 28 juillet "fera le point de la situation de tous les départements et décidera les expulsions de tous les campements en situation irrégulière", on doit s'interroger. On remarque que le résultat de la réunion est prédéterminé : elle va décider de l'expulsion. Mais va-t-on expulser ceux qui sont citoyens français, majoritaires parmi les populations visées ? S'il s'agit de ceux qu'on met dans la catégorie gens du voyage, il convient de rappeler que l'accueil de ces familles est prévu dans une première loi de 1990, si peu mise en œuvre qu'il a fallu en adopter une deuxième, en 2000, très peu appliquée à son tour, au point que plus de 50 % des places d'accueil des familles ne sont pas réalisées.

Autrement dit, mathématiquement, plus de 50 % des gens du voyage sont en situation irrégulière parce que les collectivités locales sont en infraction, et parce que les préfets ont manqué à leur devoir. Ainsi on rend responsables des familles qui sont victimes de la défaillance des collectivités locales et de l'inertie des pouvoirs publics. Si elles sont expulsées, où iront-elles, puisque l'espace d'accueil n'existe pas ? Va-t-on les reconduire à la frontière, renouant avec les politiques menées pour les Tziganes dès le XVe siècle, ou les déporter, comme ce fut souvent le cas ?

Il faut enfin rappeler qu'à l'égard des Tziganes et des Roms, la France est dans une position d'illégalité. La loi de 1969, qui régit le statut des personnes sans domicile ni résidence fixe, non seulement instaure une catégorie de citoyens discriminés et sous liberté surveillée, porteurs de livrets ou de carnets à faire viser régulièrement, mais elle n'est pas conforme à la Constitution puisqu'elle les oblige, pour voter, à trois ans de rattachement à une commune au lieu de six mois en droit commun.

En France, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme ont, à plusieurs reprises, souligné les discriminations dont sont l'objet les gens du voyage et les Roms. Les critiques sont convergentes et de plus en plus fermes de la part des instances européennes : par exemple, le rapport du Commissaire européen aux droits de l'homme, le rapport sur la France de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, publié en juin, et la récente notification à la France, par le Comité européen des droits sociaux et par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, de sa violation de sept articles de la Charte sociale européenne pour les gens du voyage et les Roms.

Pourtant on peut craindre que la France ne se mette davantage encore hors la loi : dans la dynamique des propos tenus par ses responsables politiques, on peut être inquiet quant aux décisions qui seront prises, ou qui sont déjà prises. Les expulsions collectives promises par le chef de l'Etat, alors qu'elles sont déjà trop fréquentes partout en France, ne sont généralement pas légales. L'avenir est sombre, ni social, ni culturel, ni éducatif, ni même politique dans le sens noble, mais policier.

Jean-Pierre Liégeois, sociologue, fondateur, en 1979, du Centre de recherches tziganes
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